L’intelligence artificielle, notamment l’IA générative, offre un potentiel considérable pour la performance et la compétitivité des PME. Moyennant les investissements adéquats, elle peut offrir des gains de productivité significatifs.
Pourtant, l’adoption de l’IA reste lente en Europe et ponctuée de nombreux obstacles, surtout pour les TPE et PME.
À partir des travaux de recherche d’Oldemeyer, Jede et Teuteberg (2024) et de Rajaram & Tinguely (2024), nous vous proposons dans cet article une synthèse des principaux freins rencontrés par les PME lors de leur transition IA ainsi que des recommandations managériales pour les lever.
Croisant ces recherches et notre retour d’expérience, nous formulons également des conseils pratiques pour faciliter l’intégration de l’IA en contexte PME.
Au-delà des PME, cet article peut également intéresser les ETI et grandes entreprises qui introduiront l’IA dans leurs processus, produits ou services. En effet, cette introduction entraînera nécessairement des répercussions chez leurs partenaires/fournisseurs/clients PME, et pourra donc remettre en question leur relation avec ceux-ci, d’où la nécessité pour les ETI ou grandes entreprises d’accompagner leurs partenaires PME lorsqu’elles-mêmes intègrent l’IA.
L’IA, une opportunité pour les PME
Les technologies d’intelligence artificielle, notamment génératives, constituent une opportunité stratégique pour renforcer l’efficacité et le positionnement concurrentiel des PME.
Rajaram et Tinguely soulignent ainsi le fort potentiel de l’IA générative pour les PME : l’adoption de l’IAg est un levier de créativité et de scalabilité pour des PME à la contrainte financière souvent importante.
• Du fait de leur petite taille, les PME ne peuvent que difficilement réaliser des économies d’échelle, c’est-à-dire répartir les coûts fixes sur un grand nombre de produits ; l’IA générative leur permet de réduire ces coûts et de rendre leurs processus plus efficaces, ce qui in fine permet de réduire le coût unitaire de chaque produit.
• L’IA générative est également un moyen d’accroître la créativité au sein des PME : génération d’idées, de prototypes, de publicités, de supports de communication, etc.
Malgré ces atouts indéniables, l’adoption de l’IA en PME reste freinée par plusieurs obstacles majeurs qu’il est essentiel de comprendre avant d’envisager toute mise en œuvre d’une transition IA.
Les principaux freins et défis à l’adoption de l’IA en PME
Les deux études présentent des constats convergents : si les PME sont conscientes du potentiel de l’IA, elles se heurtent à des contraintes structurelles, organisationnelles et financières qui ralentissent le passage à l’action.
Les difficultés que peuvent rencontrer les PME dans leur adoption de l’IA sont liées à leurs spécificités managériales. En effet, celles-ci n’ont pas les mêmes caractéristiques que les ETI ou grandes entreprises. Comme l’a mis en avant le célèbre article de Welsh et White publié en 1981 dans la Harvard Business Review : « A Small Business Is Not a Little Big Business ».
Il convient donc de tenir compte de ces spécificités lorsqu’on s’intéresse à l’adoption de l’intelligence artificielle en contexte PME, une démarche qui appelle sa propre méthode, et non une copie des pratiques des grandes entreprises.
Les PME ont des spécificités qui peuvent devenir des obstacles pour l’adoption de l’IA
Rajaram et Tinguely soulignent ainsi plusieurs spécificités des PME, qui sont sources d’obstacles pour leur adoption de l’IA :
- Comparativement aux grandes entreprises, les PME manquent de ressources variées facilitant le déploiement de l’IA générative, telles que les ressources humaines (par exemple, des compétences en data science et IA agentique), ou encore le matériel adéquat pour l’auto-hébergement de LLM ;
- La polyvalence des cadres, managers et salariés des PME peut complexifier l’adoption de l’IA : ils doivent gérer les multiples aspects du développement de l’IA dans différentes fonctions de l’entreprise.
- Le manque de processus formalisés et d’infrastructures, notamment pour supporter les relations avec les tierces parties (fournisseurs d’IA générative, agences IA) rendent difficile la formalisation préalable nécessaire à l’introduction de l’IA, et d’autre part, créent un risque de dépendance des PME vis-à-vis de l’IA générative choisie.
Oldemeyer, Jede et Teuteberg complètent également cette liste en identifiant le manque de connaissances sur l’IA, une infrastructure IT/digitale peu mature, et les problématiques financières, c’est-à-dire les préoccupations concernant les coûts de l’implémentation de l’IA, le ROI du projet, et les risques d’échec.
Par ailleurs, d’un point de vue managérial, le manque de cas d’usage est identifié comme un des éléments poussant les managers à repousser l’introduction de l’IA dans leur PME ; de même que l’impression que l’IA n’aura pas d’utilité au sein de leur entreprise. Le Diag Data IA de BPI France a par exemple été conçu pour répondre à cette problématique.
En résumé : six catégories de difficultés qui se posent lors de l’adoption de l’IA en PME d’après la recherche
Rajaram et Tinguely classifient ensuite les challenges que pose l’adoption de l’IA en PME en six catégories :
- Obstacles à l’adoption : opposition de la part des salariés, complexité et opacité de l’IA, aversion aux prédictions algorithmiques ;
- Précision des prédictions : hallucinations des modèles, génération de biais ;
- Problématiques éthiques : responsabilité en cas d’erreurs ou de mauvais jugements, préoccupations concernant l’authenticité des contenus produits ;
- Risques légaux et réputationnels, accrus en contexte PME car celle-ci tend à être plus vulnérable face aux cyberattaques et moins protégée ;
- Risque de dépendance des PME (“lock-in effect”) vis-à-vis de l’IA générative choisie en cas de choix de la stratégie clé-en-main ; risque de coûts élevés en cas de choix de la stratégie de customisation de l’IA choisie ;
- Investissements conséquents : formation des employés, infrastructure capable d’accueillir l’IA.
Ces obstacles, qui pour la plupart sont également présents lors de l’adoption et de l’implémentation de l’IA dans les ETI et dans les grandes entreprises, revêtent une intensité particulièrement forte en TPE/PME du fait de la dépendance de celles-ci à leur environnement et leurs ressources.
Recommandations managériales des chercheurs pour lever les freins à l’adoption de l’IA en PME
Rajaram et Tinguely ne se contentent bien sûr pas de lister les freins à la transition IA des PME, les chercheurs formulent aussi des recommandations managériales structurées autour de plusieurs axes :
Compétences des employés :
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Concevoir un écosystème permettant la montée en compétences des salariés techniques et non techniques par le biais de formations à l’intelligence artificielle en ligne et en présentiel, de séminaires, de pratiques concrètes et de mentorat. Il ne s’agit pas d’attendre la création de formations académiques, mais opter pour des formations professionnelles en IA.
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Recourir à des expertises extérieures à la PME : échanger avec des “champions” de l’IA générative, ou participer à des communautés open-source pour faciliter le déploiement de l’IA générative.
Leadership et rôle du dirigeant de PME :
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En PME, la figure du dirigeant est centrale ; dans l’implémentation de l’IA, le dirigeant doit guider le projet, c’est-à-dire diffuser une vision de long terme et des objectifs clairs, être positif et un soutien auprès des équipes dans les moments d’échec. Le dirigeant de PME doit atténuer la crainte des employés d’être remplacés par l’IA générative, les intégrer dès le début afin de réduire l’incertitude et augmenter leur engagement. Enfin, le dirigeant doit appuyer les RH en redéfinissant les rôles des employés potentiellement bouleversés par l’IA générative.
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Créer un environnement de travail encourageant l’expérimentation, l’innovation, l’autonomie et les retours d’information afin d’autonomiser les employés. Exemples : incitations positives à l’utilisation de l’IA, créer des canaux de feedbacks permettant aux salariés de partager leurs retours sur l’IA testées, etc.
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Les dirigeants de PME doivent être de véritables moteurs de changement, promouvant l’IA générative en suivant des principes directeurs et en montrant l’exemple, tout en encourageant l’agilité et l’apprentissage par itération pour une intégration efficace. L’IA peut également les appuyer dans leur propre travail opérationnel, c’est pourquoi ils doivent maîtriser l’ingénierie de prompts pour personnaliser les résultats de l’IA générative et améliorer l’efficacité de leur travail.
Culture organisationnelle, collaboration et coopération :
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Les PME doivent cultiver une culture organisationnelle qui favorise l’adoption technologique, tout en intégrant des valeurs comme l’autonomisation et la responsabilité pour réussir le déploiement de l’IA générative.
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Les PME doivent surmonter divers obstacles lors de l’adoption de l’IA générative, notamment en atténuant les menaces pour les employés et en gérant la complexité des algorithmes. Elles doivent également aborder les préoccupations éthiques et légales. Pour réussir cette transition, les dirigeants et les employés doivent développer des compétences en gestion de conflits et en résolution de problèmes, tout en engageant toutes les parties prenantes pour assurer la productivité et la compétitivité à long terme.
Relations avec les tierces parties :
- Les PME doivent choisir entre adopter des solutions d’IA générative clés en main ou les personnaliser pour répondre à des besoins spécifiques. L’approche « clé en main » est pratique et économique mais peut manquer de personnalisation et créer une dépendance aux fournisseurs tiers. L’approche « customisation » offre des solutions plus personnalisées mais nécessite des ressources et des connaissances approfondies. Le choix dépend des objectifs stratégiques, des ressources disponibles et de l’avantage concurrentiel recherché par la PME.
Recommandations additionnelles pour une transition IA réussie en PME
À partir des résultats de ces recherches et de nos propres retours terrain en tant qu’agence IA et organisme de formation en IA agentique, voici des recommandations additionnelles directement actionnables pour la transition IA des PME et pour les grandes entreprises travaillant avec elles.
1) Pour les grandes organisations intégrant l’IA : accompagner vos partenaires PME
L’introduction de l’IA au sein d’une ETI/grande entreprise peut avoir un effet domino sur l’écosystème, notamment sur les PME qui en font partie : fournisseurs, sous-traitants, distributeurs. Ne pas accompagner ces parties prenantes risque de provoquer incompréhension et perte de confiance.
Il convient alors de :
- Présenter votre projet IA comme un use case dont vos partenaires PME peuvent bénéficier.
- Les aider à comprendre vos outils fondés sur l’IA, leurs avantages, leurs implications.
- Vous positionner comme tierce partie experte en facilitant leur montée en compétences.
2) Pour les entreprises dont les clients sont des PME : proposer un accompagnement à l’utilisation du produit / service reposant sur l’IA
Lorsqu’un produit intégrant de l’IA est vendu à des PME, il est indispensable d’accompagner son client via des formations destinées aux utilisateurs du produit intégrant l’IA, valoriser les gains attendus, communiquer sur les dimensions éthique et sécurité.
Dans les premiers mois, le produit IA doit donc idéalement être complété par une prestation de conseil ou de formation pour limiter le rejet et maximiser l’adoption. Les organismes de formation professionnelle peuvent vous accompagner dans cette tâche.
3) Pour les PME : structurer un projet IA réaliste et progressif
Compte tenu des premiers résultats de recherche académique présentés ci-avant, il est essentiel de tenir compte des spécificités des PME pour maximiser l’adoption de l’IA générative, et plus important encore, la pérennisation de l’IA au sein de leur organisation.
Afin de tenir compte notamment des ressources limitées des PME, de leur manque de temps, de leur vulnérabilité face aux évolutions de leur environnement, plusieurs recommandations opérationnelles peuvent être formulées :
- Commencer par un seul cas d’usage prioritaire, concret et rentable ;
- Cartographier les processus existants, en ciblant ceux qui sont d’ores-et-déjà identifiés aujourd’hui comme des pain points sous-efficaces ;
- S’appuyer sur son écosystème, afin de mobiliser l’expertise de vos partenaires : agences LLM, freelances ;
- Former les équipes progressivement (techniques et non techniques) en faisant appel à des professionnels de la formation ;
- Documenter les apprentissages pour limiter les futurs coûts.
Conclusion — Surmonter les freins de l’adoption de l’IA en PME grâce à un accompagnement structuré, un leadership engagé et une montée en compétences, avec l’appui des grandes entreprises
Pour les PME, l’adoption de l’IA est un levier puissant pour améliorer sa compétitivité et renforcer son avantage concurrentiel.
Mais les freins restent nombreux : manque de connaissances, infrastructures immatures, risques perçus, contraintes financières ou encore culture interne peu favorable à l’IA. Les recommandations issues des travaux académiques montrent qu’un accompagnement structuré, une implication forte du dirigeant et une montée en compétences progressive sont les clés d’un déploiement réussi.
En parallèle, les grandes entreprises ont un rôle essentiel à jouer en accompagnant leurs partenaires PME, car l’intégration de l’IA dans leur propre organisation peut transformer tout leur écosystème.
Références
• Oldemeyer, Jede et Teuteberg, (2024), Investigation of artificial intelligence in SMEs: a systematic review of the state of the art and the main implementation challenges, Management Review Quaterly, 1-43. Lien vers l’article.
• Rajaram, K., & Tinguely, P. N. (2024). Generative artificial intelligence in small and medium enterprises: Navigating its promises and challenges. Business Horizons, 67(5), 629-648. Lien vers l’article.
• Welsh, J. A. & White, J. F. (1981). A Small Business is not a Little Big Business, Harvard Business Review, Vol. 59, No. 4, July/August. Lien vers l’article.