Illustration for the post Comment requalifier les travailleurs impactés par l'IA ?

Formation professionnelle : un levier-clé pour réorienter les travailleurs exposés à l’IA

Par Anne-Cécile Lebrun - Co-fondatrice de LBKE

Publié le

Une étude publiée par l’Organisation Internationale du Travail en mai 2025 montre qu’en Europe et en Asie centrale, près de 50% des emplois seraient potentiellement impactés par l’IA générative (IAG) à des degrés divers.

15,2% des emplois combineraient quant à eux une exposition élevée à très élevée à l’IAG à une faible variabilité des tâches [1].

Une part croissante des tâches de bureau, de support client et d’administration est donc exposée à l’IA, en particulier depuis l’essor de l’IAG ces dernières années.

La question centrale n’est plus seulement « qui est exposé ? », mais : peut-on, grâce à la formation professionnelle, aider efficacement les travailleurs à se réorienter vers des emplois plus complémentaires et moins substituables par l’IAG ?

Pour y voir plus clair, nous allons ici nous intéresser à un working paper du National Bureau of Economic Research (NBER) [2] publié en août 2025 par Benjamin Hyman et ses coauteurs, « How Retrainable Are AI-Exposed Workers?  ». On pourrait le traduire par « À quel point peut-on reconvertir les travailleurs impactés par l’IA ».

Celui-ci apporte un élément de réponse inédit à grande échelle : les programmes publics de formation professionnelle peuvent permettre d’importants gains salariaux aux travailleurs venant de métiers fortement exposés à l’IA et qui se réorientent—mais les trajectoires de reconversion qui visent spécifiquement des postes « intensifs en IA » ne sont pas forcément celles qui assurent les meilleurs gains à court terme.

Suivre une formation à l’IA pourrait ainsi non seulement être efficace dans la reconversion des travailleurs exposés, mais aussi leur fournir un gain de salaire, à condition toutefois que le poste visé ne soit pas exclusivement centré sur l’usage de l’IA.

Principaux résultats du working paper

Les résultats de l’étude montrent d’abord que le participant « type » à ces programmes de formation provient d’emplois parmi les plus exposés à l’IA.

Pour ces travailleurs, les retours sur investissement sont significatifs : la formation se traduit par un gain salarial moyen d’environ 1 470 dollars par trimestre par rapport aux personnes ayant seulement bénéficié de conseils à la recherche d’emplois (sans formation), avec des variations comprises entre 1 450 et 1 650 dollars selon les périodes post-formation.

Toutefois, l’analyse révèle une nuance importante : ceux qui ciblent directement un emploi très intensif en IA après la formation voient leurs gains réduits d’environ 29 % par rapport à ceux qui misent sur des compétences plus générales.

Autrement dit, les trajectoires de spécialisation « tout-IA » restent rentables, mais moins avantageuses à court terme que les parcours plus transversaux.

Enfin, l’étude estime qu’environ 28 à 34 % des travailleurs de l’échantillon sont ré-orientables vers des métiers tournés vers l’IA. Au niveau du marché du travail américain, les auteurs estiment ainsi qu’environ 38% de la population active états-unienne sont susceptibles d’être requalifiés dans des métiers liés à l’IA.

Soulignons toutefois qu’une des limites de cette étude est que les résultats reposent sur l’analyse de programmes américains (WIOA), dont les modalités et le contexte de marché du travail diffèrent sensiblement de ceux observés en France ; il serait ainsi pertinent de répliquer cette recherche dans le contexte français.

Implications pour les travailleurs exposés à l’IA

Cette recherche apporte quelques enseignements majeurs :

  1. La formation professionnelle est indispensable, surtout aux travailleurs les plus exposés à une substitution par l’IA. Les résultats montrent qu’au-delà de permettre à ces travailleurs issus de métiers très exposés à l’IA de se reconvertir, le suivi d’une formation professionnelle leur permet d’obtenir des gains salariaux significatifs dans leur nouvel emploi post-formation. Cela plaide en faveur du maintien, voire du renforcement, des dispositifs de formation spécifiquement orientés vers ces publics fragilisés par l’IA.

  2. Ne pas tout miser sur l’hyper-spécialisation IA. Les parcours généralistes — axés sur des compétences transversales, numériques, analytiques, communicationnelles ou organisationnelles — offrent des rendements supérieurs, à court terme, à ceux qui visent directement des postes « intensifs en IA ». Pour maximiser l’impact, les organismes de formation ont intérêt à structurer des parcours en deux étapes : d’abord un socle large et certifiant, puis des modules plus spécialisés en IA avancée.

Conclusion : la formation professionnelle à l’IA aide à se réorienter mais aussi à obtenir un incrément de salaire

En conclusion, face à l’expansion actuelle de l’usage des IAG, les qualifications des travailleurs doivent s’adapter.

Comme le montre cette recherche, la formation professionnelle joue ici un rôle central pour réorienter les personnes occupant les métiers les plus exposés à l’IA.

Loin d’être une requalification désavantageuse pour les travailleurs concernés, cet article semble montrer qu’elle peut générer des gains salariaux significatifs.

D’un point de vue opérationnel, le message est le suivant : former largement d’abord, spécialiser ensuite, et cibler en priorité les métiers fortement exposés à l’IA susceptibles de créer de fortes tensions à court terme sur le marché du travail.

L’enjeu n’est pas tant de « pousser tout le monde vers l’IA », mais d’aider les travailleurs exposés à négocier un virage rentable en se reconvertissant dans des métiers où l’IA complémente—plutôt que remplace—leurs compétences.

Zoom sur la méthodologie adoptée par Hyman et al. (2025)

Les économistes ont travaillé sur une base de données constituée de plus de 1,6 million de parcours de formation sur la période 2012-2023 dans le cadre du programme américain Workforce Innovation and Opportunity Act (WIOA), une période sur laquelle les modèles précurseurs des IAG actuelles étaient les plus répandus. Ils se sont également appuyés sur les données de Brynjolfsson et al. (2025) [3] et Eloundou et al. (2024) [4] portant sur les emplois exposés à l’IAG et aux LLMs afin d’étendre l’étude aux IAG modernes.

Pour mesurer l’impact réel de ces programmes, les chercheurs ont comparé les parcours de travailleurs exposés à l’IA ayant suivi une formation avec ceux de salariés témoins similaires qui n’avaient bénéficié que d’une aide à la recherche d’emploi, sans formation. Chaque participant a été apparié à un « témoin » présentant des caractéristiques proches (période, niveau d’exposition à l’IA comparable, caractéristiques socio-démographiques et profession similaires). Le sous-échantillon analysé comprend 108 215 parcours de formation effectivement appariés à un travailleur témoin.

Cette méthode d’« appariement par plus proches voisins » permet de réduire les biais d’analyse, notamment le « creux d’Ashenfelter », qui correspond à une chute temporaire des revenus avant une reconversion et risquerait de surestimer les gains observés après formation. Les auteurs distinguent également deux types de trajectoires : les réorientations vers des métiers plus généraux, et celles ciblant directement des professions très intensives en IA. Enfin, le rôle des conseillers dans l’accès aux formations introduit une dimension de quasi-randomisation, dans la mesure où une part de l’orientation vers la formation échappe au seul choix des individus, ce qui renforce la crédibilité des résultats.

Une limite est justement liée à cette méthode : les chercheurs utilisent un appariement statistique sophistiqué, mais il ne s’agit pas d’une véritable expérience avec tirage au sort, comme dans un essai randomisé contrôlé. Autrement dit, on ne peut pas affirmer avec une certitude absolue que les différences observées sont uniquement dues à la formation. Les résultats doivent donc être compris comme des estimations solides et crédibles, mais pas comme des preuves causales au sens strict.

Références

[1] Organisation Internationale du Travail, Quel pourrait être l’impact de l’intelligence artificielle générative sur les différentes professions ?, 29 mai 2025, consulter en ligne
[2] Hyman, B. G., Lahey, B., Ni, K., & Pilossoph, L. (2025). How Retrainable Are AI-Exposed Workers? (No. w34174). National Bureau of Economic Research.
[3] Brynjolfsson, Erik, Danielle Li, and Lindsey Raymond, \Generative AI at work,” The Quarterly Journal of Economics, 2025.
[4] Eloundou, Tyna, Sam Manning, Pamela Mishkin, and Daniel Rock, “GPTs are GPTs: Labor market impact potential of LLMs” Science, 2024, 384 (6702), 1306{1308.

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À propos de l'auteur

Photo d'Anne-Cécile Lebrun

Anne-Cécile Lebrun est co-fondatrice de LBKE. Elle est ingénieur diplômée de Grenoble INP Génie Industriel, docteur en sciences de gestion de l'Université de Montpellier et agrégée de Sciences Économiques et Sociales.

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